Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Souvenirs de Roger TARDIVEL
14-12-2015

 

Breton de naissance, mes parents se sont installés dans la région parisienne, où ils tenaient un commerce de vin en gros. J'avais 18 ans à l'époque et je travaillais chez mes parents.

Avec l'arrivée des Allemands, nous nous sommes réfugiés en Bretagne. En voyant les agissements des troupes allemandes et nazies, j'ai décidé de les combattre. J'ai eu la chance d'avoir été mis au courant de l'appel du 18 juin du Général De Gaulle. Je me suis donc juré de répondre à l'appel de De Gaulle et d'entrer dans la Résistance. Je voulais faire tout mon possible pour gagner Londres.

Un jour, en livrant des marchandises pour mon père, j'ai fait la connaissance d'un homme qui était en relation avec un résistant parisien qui avait monté un réseau nommé "Armée Volontaire". Ce réseau avait pour but de faire passer des volontaires en Angleterre. Je suis donc rentré dans ce réseau et j'attendais la première opportunité pour m'embarquer pour Londres.

Nous n'avions aucun moyen pour mener des actions, mais nous voulions agir ! On m'a proposé des missions.

La première a été de camoufler des armes qui se trouvaient dans une forêt. Suite à la débandade de 1940, un régiment français avait abandonné son équipement avant de disparaître dans la nature. Nous espérions que ces armes servent dans un futur proche les résistants, ou une éventuelle nouvelle armée française désireuse de reprendre le combat contre les Allemands. Cette première mission s'est parfaitement déroulée.

Par la suite, on m'a confié une mission de sabotage sur un terrain d'aviation d'où partaient des bombardiers en direction de Londres. Nous étions quatre et nous nous connaissions que par nos noms d'emprunt. Nous devions saboter les citernes de kérosène situées sur ce terrain. On a vidangé une partie des citernes, mais nous n'avons pas pu les vider toutes, sans risquer de nous faire prendre.

Puis on nous a demandé de couper les communications téléphoniques entre le poste de commandement de ce terrain d'aviation et l'État Major de Paris. Malheureusement, durant l'opération, j'ai été vu par un camarade d'école. Le lendemain matin, ça été le branle-bas de combat dans la région pour me retrouver. Je suis parti en me cachant dans un camion de marchandises.

Lorsque je suis revenu, la Gestapo m'attendait chez moi : ils tenaient mon père en joue (mon père était un ancien de 14-18). J'aurais pu partir mais je savais que les Allemands tenaient mon père en otage... Arrivé chez moi, la gendarmerie nationale française m'a immédiatement arrêté. J'ai été placé en garde à vue dans la Gendarmerie et dans la nuit la Gestapo est venue me chercher. J'ai été transféré à la prison de la Santé à Paris. On a commencé l'instruction de mon cas, puis on m'a transféré Rue des Saussets où se trouvait le centre de police de la Gestapo.

C'est là qu'on a commencé à me torturer... On m'a arraché une dent saine, et on m'a ouvert la tête avec (j'ai toujours la cicatrice). On m'a passé à la baignoire, et d'autres choses encore... J'ai résisté, je n'ai pas parlé. Je ne ais pas comment expliquer cela, je pense que c'était de l'inconscience, je devais me trouver dans un état second, saoulé par les coups, par les injures et les cris (les nazis sont des gens qui ne savent pas parler doucement, à plus forte raison dans ce genre d'endroit), mais je n'ai pas parlé. Il se sont lassés et, le soir, ils m'ont remis dans la cellule.

Je me suis retrouvé avec des jeunes comme moi. Je les ai retrouvé, excusez-moi de vous le dire, dans leur pisse et dans leur merde... On ne peut s'imaginer le résultat d'une séance de torture. ..On se retrouve dans un état lamentable...

Au bout de quatre ou cinq jours de ce traitement, on m'a ramené à la Santé où l'on

11                             m'a soigné. Je devais passer devant un tribunal allemand, et je ne pouvais pas
comparaître dans l'état où j'étais. Quelques jours plus tard, trois inspecteurs de police française sont venus me chercher. Ils m’ont menotté et je leur ai demandé s'ils n'avaient pas honte de ce qu'ils faisaient. Je leur expliquais ce que j'avais fait, que je n'étais pas un voleur ou un voyou. Ils m’ont répondu que j'étais un terroriste, une saloperie... Ils m'ont transféré à la prison de Versailles.

On m'a donné un avocat commis d'office, un officier SS allemand. Aujourd'hui, je parle et j'écris l'Allemand, mais à l'époque je n'en connaissait pas un traite mot. Un alsacien servait vaguement d'interprète. J'ai conservé un document concernant ce procès, où nulle part ne figure le nom du juge.

[C'est un principe : lorsque la Milice livraient à la Justice un Français combattant, non seulement on ne connaissait pas leur nom, mais les juges étaient masqués. C'est le courage de ces gens-là . (M. ALEXANDER)]

[Lecture d'un document : verdict du tribunal.

"Au nom du peuple allemand (la Justice française jugeait au nom du peuple allemand !) La peine requise contre .... pour cause de détérioration de moyens de défense et de son activité de franc-tireur ... le Tribunal militaire de la Feldkommandantur... a rendu le jugement suivant : l'accusé ... est condamné à la peine de mort et à la dégradation nationale à vie pour cause d'activité de franc-tireur... L'exécution sera retardé jusqu'à la décision de la Question des Grâces."Paris le 10 octobre 1940

Le Chef de l'Administration Militaire en France l'administration française de l'époque. On m'a placé dans une cellule de sûreté. C'est une cage dans une cellule, d'où on ne peut toucher ni les mures, ni le plafond. Je suis resté 26 jours aux fers, pieds et poings liés, surveillé jour et nuit par un gardien pour éviter que je me suicide. J'ai tout de même repris confiance, me disant que la guerre finira, que tout n'était pas perdu.

J'ai eu de la chance au bout de ces 26 jours. On m'a demandé de m'habiller correctement, des agents de la Gestapo m'ont conduit dans un bureau où l'on m'a annoncé que j'étais gracié et que ma peine avait été commuée en 10 ans de travaux forcés, dont 3 ans de forteresse et 3 ans de réclusion.

Après avoir été gracié, on m'a transféré de la prison de Versailles à celle de Fresnes, où je suis resté 6 mois. Après quoi, on m'a déporté à destination de l'Allemagne. Je dois vous dire la peine que j'avais de quitter mon pays dans ces conditions-là.

Arrivé en Allemagne, le calvaire a commencé. On m'a remis un matricule (j'étais le n014341). On m'a dit que j'étais un Untermench (un sous-homme, c'est comme là que les Allemands appelaient ceux qui leur résistaient), que je devais apprendre mon matricule en allemand et qu'à partir de maintenant, je n'avais plus le droit de me servir de mon nom.

J'ai passé trois ans en cellule, tout seul. On ne m'a pas laissé inactif : on a installé une machine dans ma cellule. J'ai travaillé pour la firme Bosch. J'avais une certaine quantité de travail à fournir chaque jour, sous peine de privation de nourriture. On me faisait sortir un quart d'heure par jour, avec une cagoule sur la tête. Trois longues années se sont écoulées de la sorte.

Au bout de trois ans, avec le débarquement de juin 1944, on m'a qualifié Nacht & Nebel : en tant qu'ancien condamné à mort, je ne devais pas survivre mais disparaître. On m'a envoyé à Dachau, où j'ai eu la "chance" d'être mis en quarantaine, en camp de transit.

Quelques temps plus tard, on m'a transporté en Tchécoslovaquie (toujours dans les mêmes conditions, une centaine de déportés par wagon à Atsika, dans une région qui s'est retrouvée ultra-bombardée par l'aviation anglo-américaine.

Notre travail consistait à déblayer les machines pour continuer la production de guerre allemande. Jour et nuit, les américains déversaient des bombes sur les villes. Je dois dire que bien souvent on a dû sortir des cadavres des décombres et des caves. Bien souvent, les Alliés utilisaient des bombes incendiaires.

Je pesais, à l'époque, 42 kilos, j'étais plein de poux et de vermine.

Durant ces années de détention, j'avais appris l'allemand, que je parle couramment. Je servais d'interprète auprès d'autres déportés français. Un soir, on m'a donné un registre, où figurait une liste de noms. On m'a expliqué que toutes ces personnes seraient "en transport". En fait, on envoyait ces gens sur les routes pour les exterminer purement et simplement. Alors que les Alliés se rapprochaient de toute part, c'était la méthode employée pour se débarrasser des déportés. Sur ce registre, j'ai vu mon nom, souligné en rouge. J'ai donc décidé de m'évader. Si le lendemain, on me désignait pour déblayer les ruines, je tenterai ma chance à la première occasion. Je ne pouvais pas partir avec ma tenue de déporté. Elle était jaune et noire, avec le triangle route marqué d'un "F" pour indiquer ma nationalité française. Je suis parvenu à faucher dans un placard des vêtements et des chaussures.

On avait toujours une brouette qui nous servait pour le déblaiement. J'ai mis ces vêtements dans une brouette, avec des débris par-dessus pour les cacher. Je suis sorti dans la cour arrière du bâtiment, je me suis caché et j'ai enfilé ces habits. Puis j'ai escaladé le mur d'enceinte... Vous ne pouvez pas savoir... Avec la volonté, la résolution de s'arracher d'une situation pareille, la force que cela vous donne.

Je me suis retrouvé en ville, mais je ne savais pas où aller. Tous les matins, nous arrivions en rang par cinq. Nous étions peut-être 500 bonhommes à marcher à coup de triques et on n'avait pas le temps de regarder les noms de rues, ni quoi que ce soit d'autre.

J'aperçois un type assis sur un banc, avec un béret basque. Me disant que ce n'était pas un Allemand. Je vais à sa rencontre. C'était un prisonnier français qui, pour ne pas travailler, déambulait dans les rues.

Lui montrant ma tenue de prisonnier sous mes vêtements civils, je lui explique que je cherche à quitter la Ville. Il m'aide en m'indiquant un chemin, me faisant passer par des jardins, des cours, jusqu'à ce qu'on se retrouve dans la campagne. Il m'indique une direction où je devrais aller à la rencontre des américains. 900 lcms à pied. Je suis arrivé dans un patelin où j'ai été reconnu par des prisonniers français. Un de la Wechmacht (pas les S.S.) me dit en Français "Alors, on a fait sa valise ?". J'ai été amené dans un bois voisin. Je pensais qu'ils allaient me coller une balle dans la tête. Mais c'était un "malgré nous", un alsacien incorporé de force dans l'armée allemande. Il transportait un costume civil pour pouvoir se changer, et éviter d'être fait prisonnier de guerre. Il m'a donné une cigarette. On a attendu l'arrivée des troupes alliées. Les Américains procédaient de la sorte : ils bombardaient les villes, et avançaient ensuite. On a traversé la ligne de front pour aller à leur rencontre. On voulait leur dire qu'il n'y avait aucune résistance dans cette ville. Que ce n'était pas la peine de la raser à coup d'artillerie et de faire des victimes innocentes.

Il fallait du courage pour ces étudiants et ces lycéens qui sont allés manifester à l'Arc de Triomphe et à l'Étoile ce 11 novembre 1940.

Bien des années plus tard, j'ai fait des démarches pour obtenir des documents officiels de cette période.

[Cher M. Tardive( (noter la courtoisie !), Vous aviez été condamné à mort le 3 octobre 1940 par le Tribunal Militaire de Campagne à Versailles, à cause de votre activité de partisan et de sabotage d'armes. Par un jugement du 15 octobre, cette peine a été commuée en travaux forcés d'une durée de 10 ans. Le 29 décembre 1944 vous avez été transféré dans un autre pénitencier pour continuer à y purger votre peine. Le JO janvier 1945 vous vous êtes évadé d'un chantier extérieur...]



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